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LIBÉRATION
18 Août 1998
Au début des années 80, Michel Bony, qui suit alors des cours de théâtre, s’installe dans une toute petite chambre mansardée, rue de la Fontaine-au-Roi à Paris, qu’un ami anglais vient de libérer. Ce dernier lui recommande de prendre soin de la voisine de palier, Yvonne Chevé, âgée de 92 ans. De cette proximité naîtra une complicité entre cette ancienne couturière de théâtre, frappée très jeune par le décès tragique de ses proches, et ce jeune comédien (il jouera notamment avec Giorgio Strehler et Michel Didym), engagé par ailleurs dans l’aide aux déshérités. Pendant une décennie, Yvonne et Michel vont apprendre à se connaître, et à s’apprécier, s’échangeant des petits mots sous la porte de leur humble logis (elle vit là sans eau ni électricité depuis quarante ans). Même après son déménagement , il continue de s’occuper de cette centenaire, allant jusqu’à l’héberger plusieurs fois chez lui avec son amie. Durant cette période, Michel Bony n’a de cesse de l’immortaliser dans des portraits photographiques émouvants et sensibles. Mais elle sait lui exprimer sa tendresse en retour : « Il n’y a que toi et les oiseaux… », aimait-elle lui répéter. Cet aveu poétique donne le titre à l’exposition des quarante-quatre photos d’Yvonne présentées l’année dernière à la galerie Contrejour (Paris) et actuellement visibles à Saint-Rémy de Provence. Yvonne, grand-mère d’adoption disparue à la fin de 1990 à l’âge de 101 ans, fut ainsi aimée sincèrement jusqu’à son dernier souffle.
P.G.
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LE PARISIEN
14 avril 1998
Dans la rubrique « Le livre du jour »
Une si belle vieille dame
« Il n’y a que toi et les oiseaux… »
C’est l’histoire, comme on n’en imagine plus de nos jours, d’une amitié de dix ans entre un jeune homme, Michel bony, comédien, photographe, et une très vieille dame, Yvonne Chevé. Yvonne et Michel se sont rencontrés sous les toits en 1980. apprenti comédien, il occupait faubourg-du-Temple une chambre mansardée. Elle vivait seule sur le même palier, depuis 1938, dans une chambre de 6 mètres carrés, sans eau ni électricité. Ils ont fait connaissance remeublés le silence. Il lui confiait ses incertitudes, elle lui lisait ses poèmes. Elle lui disait « Il n’y a que toi et les oiseaux… ».
Quelques années plus tard, Michel a emménagé avec sa compagne Mathilde dans un appartement plus grand. Ils ont pris la vieille dame sous leur aile et jusqu’à sa mort, l’année de ses cent ans, Michel a photographié Yvonne « qui ne revenait jamais en arrière au point de n’avoir conservé aucune photo d’elle ». cela donne ce livre de toute beauté et de toutes tendresse, plein de malice et de sagesse, où rarement photographe n’a su si bien caressé le visage de l’âge. Et de l’âme.
Pierre Vavasseur
Ed. Ramsay, 84 pages, 50 photographie
Préface de l’Abbé Pierre
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LE PARISIEN
17 juin 1997
Expo : « Il n’y a que toi et les oiseaux… »
Pour l’Amour d’Yvonne
C’est l’histoire d’un amour. Lorsque Michel a rencontré Yvonne, il avait vingt-deux ans et elle quatre-vingt douze. Inscrit dans un cours de théâtre, il avait besoin d’une chambre. Un copain, anglais, quittait justement la sienne, sous les toits de la rue de la Fontaine-au-Roi. Banco ! La seule chose que demandait l’insulaire sur le départ, c’était un peu d’attention pour une voisine qu’il aimait bien, Yvonne. Elle vivait aussi au dernier étage, sans eau ni électricité. Elle était distante, au début, et Michel la suivait discrètement du coin de l’œil lorsqu’elle sortait pour prendre l’eau sur le palier : il avait promis. Puis un jour, elle l’a invité à prendre le thé.
Peu à peu, c’est devenu un rite : Yvonne servait un thé très sucré, pile à la bonne heure – jeune fille, elle avait été placée en Angleterre – et Michel venait lui dire son spleen. C’est elle qui l’encourageait. Elle lui récitait des vers (elle adorait le théâtre), lui disait que rien n’est grave. Peu à peu, il a appris des bribes e sa vie : l’enfance aux Batignolles, le père écrasé par un tramway, la mère morte d’une appendicite, le frère revenu gazé de la guerre de 14. a la mort e celui-ci, elle a connu des problèmes financiers et est partie vivre dans le « faubourg ».
A soixante-dix ans passés, Yvonne Chevé était encore couturière. A quatre-vingt-quinze ans, avec son sens de la répartie, son jugement aigu, son humour, elle séduisait le jeune Michel Bony au point que rien ne comptait plus qu’elle. Il s’est mis à la prendre en photo, comme on fait des portraits quand on aime. Elle l’a aidé a aiguiser son beau talent de photographe. Il l’a suivie dans les galères quand elle a dû être hospitalisée.
Lorsqu’il s’est installé avec une jeune femme, ils ont fait tout naturellement une place à Yvonne. Un jour sans doute, le glissement s’est fait tout seul. Michel est devenu le petit-fils de cette femme qu’il fallait désormais changer et laver, qu’il fallait comprendre quand elle disait des mots sans suite. Elle avait dépassé cent ans. Ils ont ainsi vécu dix ans l’un après l’autre.
Après la mort d’Yvonne, Michel Bony a fait un film sur une mission humanitaire qu’il avait effectuée en Afrique. Il y a introduit des portraits d’elle, dans le rôle de la grand-mère du narrateur. Maintenant, sur les conseils de la photographe Denise Colomb, il a décidé d’exposer ces photos, peut-être d’en faire un livre. Pour que le sourire d’Yvonne illumine d’autres vies.
Espace Contrejour, 96, rue Daguerre, XIVème. Tous les jours, de 10heuresà 19h30 jusqu’au 22 juin.
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OUEST FRANCE
22 Août 1998
« Il n’y a que toi et les oiseaux… » disait Yvonne à Michel
« Il n’y a que toi et les oiseaux… ». C’est le titre d’un ouvrage de Michel Bony qui, par l’image et par le texte, raconte Yvonne, disparue à 101 ans, dont l’auteur, alors jeune comédien, fut le voisin privilégié. Une bouleversante histoire d’écoute, de respect et de partage. Une rare histoire d’amitié.
« Cette femme, sur ces photos, c’est Yvonne, ou plutôt c’était Yvonne…Yvonne que je n’aurais jamais rencontrée si, la bonne aubaine, on m’avait proposé, dans les années 80, une superbe chambre mansardée de 8m² avec vue sur la cour et toilettes sur le palier, dans le Faubourg-du-Temple à Paris. J’allais et venais de chez moi à mes cours de théâtre, au cirque où je gagnais ma vie en présentant le spectacle, et je vivais une vie de jeune homme de 22 ans. »
« Elle, Yvonne, avec ses 92 ans, passait le plus clair de son temps dans sa chambre à lire, à écrire, à écouter la radio, à préparer ses repas, mais surtout à rêver et à réciter, pour la beauté du texte et pour continuer à exercer sa mémoire, une tirade de Corneille, un poème de Rimbaud, si ce n’était une prière au bon Dieu. Car, toute croyante qu’elle était, elle avait depuis longtemps considéré que la maison de Dieu se trouve dans le cœur des hommes. »
Celui qui parle, c’est Michel Bony, 39 ans, toujours comédien (il a notamment joué sous la direction de Giorgio Strehler, André Engel, Michel Dydim), mais aussi cinéaste occasionnel et photographe. Yvonne est morte en 1990 à l’âge de 101 ans, mais c’est incroyablement vivante qu’elle apparaît dans le livre que lui consacre son ancien voisin, devenu l’ami précieux auquel elle aimait répéter : « Il n’y a que toi et les oiseaux… » Un livre de portraits en noir et blanc qui disent les rides, les cheveux blancs, l’usure, mais aussi la grandeur et l’humour d’une vieille dame très digne.
Ces clichés, Michel Bony les a engrangés tout au long d’une indéfectible complicité de dix ans. Comme un moyen de partager et un simple souvenir, tout d’abord. Jusqu’au jour où, en montrant ses images à des proches, il s’est rendu compte qu’elles étaient le plus cinglant démenti à un de Gaulle ( « La vieillesse est un naufrage » ) à un Mauriac ( « Il n’y a pas de beaux vieillard ») et à tous ceux qui s’apitoient, s’apeurent ou détournent la tête devant les tro anciens, renvoyés en solitaires à leur déclin. L’Abbé Pierre, une autre tête chenue, qui préface l’ouvrage, ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit : « Là où d’autres n’auraient vu que voisinage de hasard, se satisfaisant de hâtifs saluts, Michel Bony a su se laisser prendre par ce qu’il faut bien appeler : aimer.»
Cette belle et singulière histoire d’amour, l’auteur la conte par le menu dans son ouvrage, en contrepoint des photos. Avec une tendresse et une pudeur qui donnent à rêver entre les lignes. Avec, bien sûr, des anecdotes qui laissent entrevoir « tout un passé plié, enveloppé » de papiers et de boîtes, qu’Yvonne conservait sur une étagère bancale, au-dessus de son lit : l’enfance marquée par les disparitions successives de la mère, à la suite d’une opération de l’appendicite, du père, fauché par un tramway, du frère, les poumons rongés par les gaz de la guerre 14-18 ; le métier de couturière sur mesure (elle fabriquait plus de cents modèles par an) qu’elle exerçait jusqu’à son installation, en 1938, dans le réduit qu’elle occupait seule depuis lors.
« Il ne nous suffisait plus de parler. Nous allons jusqu’à faire circuler un cahier de porte à porte sur lequel des écrits sur la mort, sur l’Amour, sur l’humilité, venaient s’intercaler entre les articles de journaux et les recettes de cuisines », se souvient Michel Bony, qui, avoue avoir été changé en profondeur par cette rencontre : « Yvonne avait un appétit de vie incroyable. Elle m’a appris l’Espoir. Grâce à elle, je n’ai plus le même rapport à la vieillesse, à commencer par la mienne. » Un message qu’on retrouve dans un poème, écrit sur un paquet de sucre, qu’Yvonne glissa un jour sous le paillasson de Michel. Poème qui commence ainsi : « La mort n’y pensez pas, la vie est à l’écoute/de votre cœur qui bat furtif, saccadé. »
q « Il n’y a que toi et les oiseaux… », de Michel Bony. Cinquante photographies noir et blanc et texte. Préface de l’abbé Pierre et lettre d’André Chouraqui. 84 pages. Editions Ramsay.
q Avant d’être réunies en un livre, les photographes de Michel Bony, sous le titre « Il n’y a que toi et les oiseaux… », ont fait l’objet d’une exposition qui, après Paris et Nancy, est visible jusqu’au 6 septembre à l’hôtel « Les ateliers de l’image » de Saint-Rémy-de-Provence, Bouches du Rhône.
q Parce que le temps passé auprès d’Yvonne lui « a donné envie d’aller plus loin », Michel Bony effectue actuellement un travail photographique auprès de vieux Compagnons d’Emmaüs. Une exposition et peut-être un livre sont prévus.
q Par engagement personnel, Michel Bony a effectué plusieurs voyages humanitaires en Afrique pour y apporter des vêtements et des médicaments. Pour le théâtre, il projette de monter et de jouer un texte de Jehan rictus, après avoir adapté à la scène en 1993 le roman de Goethe, Les souffrances du jeune Werther.
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LA MARSEILLAISE
Exemplaire démarche que celle de rené Taesch et de Michel Bony. S’arrachant de l’humour et cheminant avec lui, ils nous délivrent un précieux message de confiance en l’humanité. Profil de deux êtres à l’engagement est total.
Il existe en René Taesch une errance porteuse de lumière. Ancien SDF, il a connu les affres des regrets de la société de consommation, n’a-t-il pas vécu et partagé dans sa chair, les souffrances et la solidarité des siens. Une fois « sorti » du gouffre, il est retourné auprès des siens, pour les photographier avec le désir de les extirper de leur anonymat avec la volonté farouche de leur redonner une identité digne d’un être humain. Facilité par ses liens anciens, il a pu réintroduire ce milieu, et sa démarche par moments et soumise à l’inexplicable : « Cela ne sert plus à rien » pouvait-il entendre de leur part. Plus fort qu’un simple témoignage, il est l’exemple vivant d’une capacité de survie. L’art lui a servi à dépasser sa condition humaine. Si il existe un prix de l’ « engagement total », il en serait l’unique lauréat.
Pour l’anecdote, il a été accueilli par le groupe « surface sensible » après avoir été refusé par le Festival Off. Son travail est visible en contrebas de l’escalier, mais la véritable lecture de son cheminement s’effectue en parcourant son livre « Portait de groupe avant démolition », cosigné avec Denis Robert aux Editions Stock. L’acheter n’est point un luxe.
Exposition du 4 au 11 juillet, 31, rue de l’Hôtel de Ville.
Dans un autre genre et avec le même bonheur Michel Bony renouvelle notre confiance pour le genre humain. Comédien de formation et autodidacte sensible, ce jeune homme à l’allure éternelle rencontre presque par hasard sa voisine de palier Yvonne Chevé, vieille dame digne de lumière, de leur rencontre naîtra une amitié de 10 ans et un travail photographique d’une intensité rarement atteinte. Au travers d’un livre et d’une exposition à Saint-Rémy de Provence, nous cheminons dans une correspondance intime où deux êtres s’apprennent l’humanité. La force de Michel Bony réside dans sa capacité à dépasser les éternels débats sur la réalité de l’engagement photographique envers le social et son genre humain ; il nous place dans la possibilité à notre tour d’exprimer nos humanités.
Exposition du 5 juillet au 5 septembre 1998. Hôtel Les ateliers de l’Image, 5 avenue Pasteur 13 210 Saint-Rémy de Provence. Et son livre, « Il n’y a que toi et les oiseaux… » aux Editions Ramsay avec une préface de l’Abbé Pierre.
Frédéric Méliani
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ELLE
11 mai 1998
L’amour à 100 ans
Elle avait de beaux cheveux fins et vaporeux, qu’elle ramenait parfois sous un étonnant bibi de plumes roses. Elle écrivait des poèmes, récitait des tirades de Corneille. Elle pouvait écouter longuement le chant d’un oiseau à sa fenêtre. Yvonne était une femme moderne. Une très vieille dame, morte en 1990, à 101 ans, aussi discrètement qu’elle mena sa vie. Michel Bony a 22 ans quand il la rencontre. Elle, 92. Il prend alors des cours de théâtre et s’installe dans une chambre de bonne, sur le même palier qu’Yvonne. Elle invite le jeune homme dans sa chambrette, à l’heure sacrée du goûter : bol de thé et croissants tartinés de rillettes ! Une amitié s’écrit au fil des jours tendres ou dramatiques. Aujourd’hui, Yvonne est l’héroïne d’un livre de sublimes et pudiques photographies, « Il n’y a que toi et les oiseaux… » (éd. Ramsay), la phrase qu’elle aimait répéter à son ami, Michel Bony, auteur de l’ouvrage. « Je veux faire tomber les préjugés sur la vieillesse, dit-il. Elle était merveilleuse. » D’Yvonne, il garde beaucoup de portraits qu’il aimait prendre d’elle et, aussi, « son humour, son esprit et son sourire de bonté ». Rien de fantastique ni de romanesque dans ce livre, mais la tolérance et de doux silences…Une simple histoire d’amour.
Sylvia Jorif
Les portraits d’Yvonne seront exposés à l’hôtel Les Ateliers de l’Image,13 210 Saint-Rémy de Provence, du 4 juillet au 5 septembre 1998.
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LE NOUVEL OBSERVATEUR
16/22 Avril 1998
Dans la rubrique Photo
« Il n’y a que toi et les oiseaux… » par Michel Bony
C’est une histoire d’amour. Lui, Michel Bony, comédien, a 22 ans à l’époque et mal à la vie. Elle, Yvonne Chevé, en a 92. Elle habite seule depuis 1938 une chambre de 6 mètres carrés, et récite des poèmes. Ils se retrouvent tous les jours en bon voisinage, s’épaulent. Il la photographie « parce que je l’aimais ». Ensemble, ils ont construit une « maison e Dieu », celle qui est ancrée dans le cœur. La « petite mère » est morte en 1990, à 102 ans. Ce qui reste ? Un trésor d’images bouleversantes, noir sur blanc, qui sourient à la vie, un chant d’amour pour une vieille dame très digne.
R.V.
Ramsay, 84 p., 50 ill.
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PHOTO
Juin 1998
La photo au service de la dignité humaine
« Pour que l’esprit vive » et « Les petits frères des Pauvres » sont deux associations complémentaires dont la communication sociale est basée sur la photo avec réalisation d’expositions et de publications. Leurs bénéfices vont directement aider les personnes âgées, handicapées, en situations précaires. « Il n’y a que toi et les oiseaux… » de Michel Bony, aux Ateliers de l’Image, 5av. Pasteur, 13210 Saint-Rémy de Provence. Du 5 juillet au 5 Septembre. L’amitié et la générosité entre un jeune homme et une vieille dame. Une histoire vraie, un amour simple. Le livre est publié aux éditions Ramsay.
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AGENDA FNAC FORUM
Mars 1998
Photographie
Jeudi 26 à 18h00
Espace Rencontres Niveau-1
entre les portes Lescot et Berger
« Il n’y a que toi et les oiseaux… »
« J’ai photographié Yvonne Chevé, avant toute chose, parce que je l’aimais… ». Rencontre avec l’Abbé Pierre et Michel Bony, autour du livre « Il n’y a que toi et les oiseaux… » (éd. Ramsay), textes et photographies de Michel Bony, préface de l’Abbé Pierre. La rencontre sera animée par Eric portais, journaliste à France 2.
« Avec l’art qui est le sien, la photographie, là où d’autres n’auraient vu que voisinage de hasard, se satisfaisant de hâtifs saluts, Michel Bony a su se laisser prendre par ce qu’il faut bien appeler : aimer. Aimer – dans ce que ce mot a de plus simple et de plus fort – une dame de quatre-vingt seize ans, solitaire et sans avoir (…) Ce qui importe, ce qui est le tout de ces années, c’est le respect réciproque qui les a remplis. L’intuition pour chacun d’avoir des perles à recueillir. Et, comme il en serait du pain quotidien, la fidélité des sourires de chaque nouveau matin. Fruit de cette tendresse, ces photographies d’Yvonne sont un cinglant démenti à la parole de Mauriac « il n’y a pas de beau vieillard ».
L’abbé Pierre
Exposition des photographies de Michel Bony du 2 au 30 Avril à Nancy (galerie du hall du Livre) et du 4 juillet au 5 septembre à Saint-Rémy de Provence (Hôtel Les Ateliers de l’Image)
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PLEIN JOUR
Novembre 1998
Ce jour m’a marqué
J’ai rencontré Yvonne
Yvonne, quatre-vingt douze ans, était sa voisine de palier. Elle est devenue pour Michel une amie très chère.
« Au début des année 80, j’ai quitté ma province natale pour monter à Paris. Comédien débutant, je n’avais guère d’argent pour me loger. Un ami m’avait proposé de prendre sa place dans la chambre de bonne qu’il occupait. « A une seule condition, me dit-il. Tu t’engages à rendre quelques services à la vieille voisine qui habites sur le palier. »
A vrai dire, j’étais assez intrigué de rencontrer cette femme de quatre-vingt douze ans dont il m’avait souvent parlé avec émotion. Un jour nous sommes donc allés lui rendre visite, rue de la Fontaine-au-Roi, non loin du canal Saint-Martin. Elle habitait dans une petite chambre mansardée de 6m², qui n’avait jamais été refaite. Une multitude de petites boîtes disparates et de vieux livres enveloppés dans du plastique tapissaient les murs.
Yvonne m’a accueilli avec chaleur. Tout de suite, j’ai lu dans son regard l’intérêt curieux et affectueux qu’elle portait à ce jeune homme de vingt-deux ans qu’elle ne connaissait pas. Dans ce décor peu avenant, Yvonne rayonnait. Parce qu’à l’intérieur d’elle-même, il y avait beaucoup de place.
Elle a servi du thé dans trois bols en pyrex puis m’a proposé de tartiner des rillettes sur un croissant ! Malicieuse, elle guettait ma réaction du coin de l’œil…Après la première bouchée, elle m’a souri, comme pour dire : « Alors ce n’était pas si terrible ? » mais si je n’avais pas aimé ce curieux mélange, elle aurait réagi de la même façon. Yvonne ne manifestait jamais d’aigreur, elle ne jugeait pas.
Dès lors, j’ai trouvé auprès d’elle une présence qui me mettait à l’aise. Combien de fois me suis-je assis pour parler pendant plusieurs heures ! Quand je lui disais mon angoisse devant la fuite du temps, elle me répondait toujours : peu importe à quel rythme vous vivrez, l’important c’est de vivre. » Elle-même avait décidé de ne pas regarder en arrière.
Une fois seulement, elle m’a parlé des douleurs de son existence : la Guerre de14 qui lui avait enlevé son frère et son fiancé, le décès tragique de ses parents. A trente ans, seule, elle a décidé de ne plus payer le loyer de l’appartement familial, par révolte contre son pays qui lui avait ravi deux être chers. Elle est devenue couturière de théâtre.
Au lieu de se refermer sur sa douleur, elle s’est totalement ouverte sur les autres. Avec elle j’éprouvais un grand sentiment de liberté. En elle, je n’ai jamais vu sa vieillesse : mieux elle me semblait plus jeune que moi car elle pouvait tout entendre. Loin de m’adresser des reproches négatifs, Yvonne m’a toujours aidé à me rapprocher de moi-même. Pendant toutes ces années, j’ai accompli un immense chemin. Yvonne m’a donné le goût d’aimer, jusqu’à sa mort à cent un ans.
Deux ans plus tard, je suis parti au Sénégal pour une expédition humanitaire avec des médicaments et 500kilos de vêtements. J’ai donné ceux d’Yvonne à cinq femmes du village, à qui j’avais expliqué ce qu’elle était pour moi. Le lendemain, l’une d’elle est arrivée en dansant avec les charentaises d’Yvonne. Elle ne pouvait rendre plus bel hommage à son énergie et sa joie. Et j’imaginais le sourire qui devait illuminer le visage de ma vieille amie. »
Recueilli par Bruno Bouvet
Michel Bony a raconté cette rencontre dans un livre illustré de ses photos : « Il n’y a que toi et les oiseaux… », 84 p., 50 photos, préface de l’Abbé Pierre, Ramsay.
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TÉLÉRAMA
28 mai 1997
« Il n’y a que toi et les oiseaux… » de Michel Bony
Expo. En 81, Michel rencontre Yvonne. Il l’apprivoise, elle se confie. Il la photographie, elle se laisse faire. Ils ne se quitterons plus. Album intime.
La vielle dame et le jeune homme
Yvonne Chevé naît le 21 décembre 1889, du côté des Batignolles. Elle meurt le 28 décembre 1990. Elle a vécu cent un ans et sept jours. 37 276 jours exactement. Elle est enterrée au cimetière du Père-Lachaise, pas très loin de Sarah Bernardt, de Pierre Dac et de Simone Signoret. Son père était un marchand de vin. Tous ceux qu’elle aimait, Yvonne Chevé les a perdus dans son jeune âge. Le hasard méchant lui vole sa mère d’abord, décédée après une opération de l’appendicite. Puis c’est le tour de son père écrasé par un tramway. La sinistre boucherie de 1914 lui arrache et son frère et son « promis », comme elle disait. Elle est couturière à domicile, pas très loin du théâtre Hébertot. Sans jamais être montée sur les planches, du début à la fin de sa vie, elle ne cessera de croiser et de recroiser le théâtre. Mirage et réalité.
En 1938, n’en pouvant plus des huissiers qui la pressent, elle quitte les Batignolles pour s’installer dans le faubourg du Temple, au 13, rue de la Fontaine-au-Roi, où elle poursuit, toujours seule, son petit train de couturière, jusqu’à 70 ans. Sa chambre mesure 6m². Pas d’eau. Pas d’électricité. « L’important se passe à l’intérieur », dit-elle.
Elle y habite jusqu’en 1987, avec pour tout bagage ses souvenirs, son étonnante capacité à rêver, à contempler le monde sans aigreur. Et puis encore des piles de papiers empaquetés dans du plastique. Ses plaisirs ? Elle adore tricoter des frisettes, elle qui a les cheveux raides. Elle aime prendre le thé, chaque après-midi, vers 4 heures – une habitude qu’elle a contractée vers 16 ans, au retour d’un séjour en Angleterre. Elle récite les grands monologues du théâtre, et des poèmes. Elle en connaît, et des plus beaux. Elle écoute aussi la radio.
Que saurions nous d’Yvonne si un jeune homme ne s’était installé, un jour de 1981, au même étage du 13, rue de la Fontaine-au-Roi ? Rien.
Le jeune homme est comédien. Il s’appelle Michel Bony. Il a 22 ans quand il débarque dans la vie d’Yvonne Chevé. A moins que ce ne fût Yvonne Chevé qui ne tombât, avec la force d’une météorite, dans la vie de Michel Bony. Le jeune homme et la vieille dame se sont vus. Ils se sont reconnus. Ils ne se quitterons plus. « Il n’y a que toi et les oiseaux… », disait Yvonne à Michel. A-t-on jamais entendu plus belle déclaration ?
Quand ils ne se voient pas – ce qui est rare –, ils s’écrivent dans un carnet qui voyage d’une chambre à l’autre. La vie qui va, des recettes de cuisine, les projets de théâtre de Michel, les pertinentes remarques d’Yvonne, tout s’y mélange sans ordre apparent. Articles de presse compris. Entre eux la différence d’âge est abolie. La vieille dame et le jeune homme s’aiment comme frère et sœur. Il n’y a rien d’autre à chercher que cet amour simple. « On avait envie de se donner du temps l’un l’autre », dit Michel Bony.
Peu à peu, le jeune homme prend plaisir à photographier la vieille dame. « C’était tellement beau ce que nous vivions. » « Comment peux-tu photographier une vieille femme comme moi ? » Plusieurs fois, la question revient dans la bouche d’Yvonne. Elle se laisse faire quand même. Elle ne pose pas. Ils s’amusent d’un rien, chapeau de mariée, oiseau à plumes synthétiques ou paire de lunettes sans verres. C’est un jeu. Une nouvelle façon d’être ensemble qu’ils ont inventée. « à travers les photos, Yvonne apprenait quelque chose d’elle-même. »
Un jour, le jeune homme quitte sa petite chambre pour un quatre pièce dans la rue Amelot. Les ennuis de santé faisant, il ne se passe guère de temps avant qu’Yvonne ne soit accueillie dans l’appartement qu’occupent maintenant Michel et son amie.
De cet instant, ils se tutoient. Michel continue de prendre des photos. Yvonne lui écrit parfois des poèmes. Elle y glisse les conseils d’une femme de son âge à un garçon de cet âge. Prudence, par exemple. « tenez bien votre cœur, ne le gaspillez pas, sinon vous ne pourriez un jour que tout gâter. »
Un jour de 1990, elle meurt entre Noël et le nouvel an. Deux ans plus tard, Michel embarque à bord du Yakasse, pour le Sénégal, avec cinq cents kilos de médicaments et de vêtements. Dont ceux d’Yvonne. Dans le village, les femmes ont dit : « Que la terre te soit légère, Yvonne… »
Cinq années se sont écoulées depuis. « Elle m’a éduqué le cœur. Elle m’a appris à rire. Yvonne était une vieille dame heureuse. » Que la terre vous soit légère, Yvonne.
Daniel Conrod